Jules Roy: Anne Headley est la célébrante de l'objet

à l'occasion de l'Exposition d'Anne Everett, Salle Romane, Vézelay, 15-30 juillet 1980.

Non pas à travers ce qu'on appelle "une nature morte" exploitée par tant de peintres pour rendre la luisance d'un vin dans une bouteille, les couleurs d'une pomme ou d'une grappe de raisin, -pur exercice de virtuosité. Anne Headley fait de l'objet le plus simple un objet d'art et de vie.
Prenons l'exemple de la chaise: une chaise objet d'art! Je ne parle pas d'une chaise de paste (voiture a deux ou quatre roues tirée par un ou plusieurs chevaux) ni d'une chaise a porteurs dans l'heureux temps ou l'on se faisait vehiculer par deux hommes dans une cage de bois dare, ni meme une chaise de style, de velours ou de tapisserie. Non, non, une chaise tout ce qu'il y a de plus ordinaire. Même pas d’église, ni de basilique, mais de cuisine. Là ou Anne Headley passe, comme tant de femmes, une trop grande partie de la journée pour nourrir les enfants, les animaux et le mari. Qu'y a-t-il de plus humble qu'une chaise, siège pour le séant, surface de repos pour cette part de la machine hu­maine qu'est le buste? Eh bien, la peinture de la chaise par Anne Headley anoblit.
La cuisine -lieu essentiellement honorable en soi, avili depuis que les maitres l'ont abandonnée aux serviteurs- et anoblit la chaise.
Les chaises d'Anne Headley sont-elles cannées, ont-elles besoin d’être rempaillées? Sont-elles de bois? Elles ne semblent pas destinées a des fessiers, mais a ces damiers ou des pichets. Anne Headley les transforme en sel­lettes pour liserons, volubilis, bleuets, pervenches ou géraniums, comme dans une loge de concierge ou de garde-barrière, et elle les place dans un décor de carre­ lage, de tapis a quatre sous et de papiers brillants; la cuisine devient caverne d'Ali Baba. Je vois là, non pas un signe qui va révolutionner la terre, mais la marque d'un vrai peintre qu'utilise ce qu'il a sous les yeux pour le transformer en symbolique. Comme un magicien tire des colombes de son chapeau, Anne Headley tire de ses chaises un enchantement. Ce ne sont plus des chaises de cuisine, mais des chaises qui se prennent pour des fleurs, des chaises en goguette, des chaises de joie.

Je lève mon verre à un talent qu'on ne rencontre pas tous les jours.

Exposition d'Anne Everett,
Salle Romane, Vézelay,
15-30 juillet 1980.